Le salaire étudiant est-il souhaitable?

Le Québec Étudiant
Volume 01 - Numéro 01
6 septembre 1977

Dès les années '60, les étudiants ont été amenés à se pencher sur la question de leur revenu. Parmi les solutions proposées à long terme au problème étudiant, le salaire étudiant a fait sa marque. En effet, il était l'objectif ultime visé par l'Union Générale des Etudiants du Québec (1964-1969). Fait à noter, le salaire étudiant figure aussi au programme du Parti Québéèois, actuellement au pouvoir. Comment une telle mesure peut-elle se justifier?

Le pré-salaire, ou salaire étudiant est basé sur l'argument qui veut que l'éducation contribue à développer la technologie et à augmenter la production des biens et services dans un pays donné. Dans une telle optique, la main-d'oeuvre instruite est considérée comme une ressource économique. Cette ressource est le fruit du travail des professeurs, des employés scolaires et des étudiants. Considéré sous cet angle, l'étudiant est non seulement l'objet de la formation, mais aussi un travailleur intellectuel. C'est un fait, d'ailleurs que chaque étudiant doit investir des énergies pour acquérir une formation. Dans l'optique du salaire étudiant, le travail de l'étudiant est un travail productif.

L'étudiant, une fois formé et embauché, fournit un rendement qui requiert l'usage des connaissances acquises. C'est pourquoi l'UGEQ prônait le salaire étudiant comme étant la rémunération de l'étudiant pour son travail intellectuel. L'AGEUM et l'UGEQ ont défini à maintes reprises l'étudiant comme un jeune travailleur intellectuel à rendement différé, voulant indiquer ainsi que le travail de l'étudiant n'est pas improductif. La formation acquise par l'étudiant lui permet de produire ; et même si cette production ne se manifeste qu'après les études, elle est intrinsèquement liée à ces études. La pensée actuelle du syndicalisme étudiant se fonde sur ce principe.

Or, si l'étudiant est un travailleur, il en découle que comme tous les autres travailleurs il a droit au travail. Il est donc absurde, dans cette optique, de lui faire payer l'exercice d'un tel droit. Il serait logique, au contraire, que l'étudiant soit rémunéré pour son travail, que ce soit par le pré-salaire, par des allocation d'études ou selon quelque autre formule.» (Tiré de : Gratuité Scol., rétrospective et généralités. AGEUM, 1966)

Pour prouver la rentabilité économique de l'éducation et du travail de l'étudiant, LAGEUM citait dans le même dossier les travaux d'économistes et de sociologues américains. Ceux-ci attribuaient à l'éducation la croissance du produit national, l'augmentation du rendement des entreprises et le développement technique. «En fait, la généralisation de l'éducation est également rentable économiquement pour l'ensemble de la population comme l'ont illustré plusieurs sociologue, notamment Edward F. Denison et Théodore Schultz, aux Etats-Unis. De ces études, on retiendra particulièrement les points suivants :

- Aux Etats-Unis, entre 1929 et 1957, un plus haut degré d'instruction chez la classe ouvrière a été la cause de la croissance de l'ordre de 21 pour cent enrégistrée au poste du revenu national.
- De plus, ce progrès généralisé du savoir, au niveau notamment de la recherche, du développement et de l'administration, est cause d'un autre 19%, ce qui porte le total de l'acquis à 40%. Denison estime également que l'embauche s'est accrue de 32%.
- D'ici 1980, toujours aux Etats-Unis, Denison prévoit que l'éducation et l'expansion généralisée du savoir vont contribuer tout autant à la croissance du revenu national que ces mêmes facteurs l'ont fait depuis 1929.

La raison de ces phénomènes, c'est que l'instruction :
- crée de nouveaux produits
- crée de nouveaux emplois
- crée de nouvelles techniques
- augmente le rendement des entreprises existantes
- crée de nouvelles entreprises
- augmente les revenus fiscaux de l'état.»
(Gratuité Scol. .., AGEUM 1966)

Au Québec, la grande expansion de l'éducation réalisée au cours des années '60 correspondait effectivement à une «prospérité» économique et à des profits fabuleux pour les grands investisseurs qui contrôlent le pays. Entre 1960 et 1967, (période où s'est amorcée la réforme de l'éducation) on estime à 5 milliards 869 millions de dollars le total des profits américains au Canada, pour un investissement total de 4 milliards 125 millions. (Source: U.S . survey of current business). C'était il y a dix ans...

Les affirmations de l'UGEQ trouvent donc une certaine confirmation. Il serait aussi important de souligner l'essor de la consommation qu'a provoqué la réforme de l'enseignement. En effet, le marché des produits «de luxe» des voyages, automobiles etc. a eu sa part de bénéfice quand apparurent les cadres, techniciens etc. fraîchement émoulus des Polyvalentes, Cégeps et Universités.

Il est des pays où les formules de pré-salaire ont cours. Il s'agit des pays dits socialistes où l'éducation est considérée comme un investissement collectif et l'étudiant, comme un travailleur intellectuel. Cependant, ces pays exercent une sélection à l'entrée, selon les exigences de l'économie. A cette fin, les étudiants doivent répondre le mieux possible à un certain nombre d'exigences académiques. Les «meilleurs» sont choisis pour accéder aux études supérieures. C'est un autre aspect du pré-salaire que nous abordons ici : le salaire étudiant a pour implication d'exiger une planification de l'école et du nombre d'étudiants en fonction des besoins de l'économie. En effet, que l'étudiant produise un rendement différé soit, mais encore faut-il qu'il ait un emploi pour fournir ce rendement.

Dans un système économique comme le nôtre, alors que le patronat préfère mécaniser et mettre du personnel à pied, l'établissement d'un salaire étudiant risquerait d'entraîner un accroissement de la sélection et du contingentement. En effet, à supposer que le gouvernement reconnaisse légalement l'étudiant comme un travailleur intellectuel à rendement différé, la logique de cette affirmation le pousserait à ne former qu'un nombre restreint d'étudiants, selon les exigences des patrons.

Nous en arrivons donc à la conclusion qu'il faudrait non seulement viser une rémunération de l'étudiant, mais aussi des mesures permettant de créer des emplois, de façon à ce que le potentiel de main-d'oeuvre formé par nos écoles serve à quelque chose. A ce propos, l'ANEQ avance actuellement qu'il serait souhaitable que l'état affecte la main-d'oeuvre inactive à des travaux susceptibles de remplir des besoins actuellement négligés par le patronat. La construction domiciliaire, les garderies, sont autant de services susceptibles de fournir des emplois. C'est donc un débat très intéressant qui s'ouvre maintenant sur le revenu de l'étudiant. L'hypothèse du salaire étudiant, entre autres, doit être examinée. Est-elle souhaitable? Si oui à quelles conditions et à quelle échéance? Voilà autant de questions sur la table. Il reste aux étudiants d'en discuter et d'en disposer.

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